Journal de Pharmacie de Belgique - 101ème année n° 1 - mars 2019 31
1. Introduction
Au CHU de Liège, ainsi que dans tous
les hôpitaux belges d’au moins 150 lits,
un groupe de gestion pluridisciplinaire
de l’antibiothérapie (GGA) est créé au
sein du Comité médico-pharmaceutique
(CMP). Ce GGA doit, entre autres,
développer, exécuter et évaluer des
initiatives visant à limiter l’utilisation
excessive d’antibiotiques, y compris une
politique antibiotique locale en matière
d’activités de promotion concernant des
médicaments anti-infectieux 1.
Le GGA du CHU de Liège participe aux
audits recommandés par la BAPCOC
(« Belgian Antibiotic Policy Coordination
Committee ») et il a participé en 2015
à l’étude mondiale sur la prévalence
ponctuelle de la consommation et de la
résistance aux antimicrobiens appelée
« Global point prevalence survey ».
Celle-ci avait pour but d’analyser les
prescriptions d’agents anti-infectieux
en relation avec ce que les praticiens
ont l’intention de traiter. L’audit ne
donnait pas lieu à débat sur le caractère
approprié des prescriptions et les
professionnels en charge des patients
ne devaient pas se sentir jugés ou
évalués au niveau individuel. Toutefois,
plusieurs éléments nous ont interpellés
durant cet audit, dont l’utilisation
importante et non justifiée de nystatine
sous forme de bains de bouche (code
ATC A07AA02).
Devant ce constat, une revue de la
littérature évaluant l’efficacité et
l’innocuité de la nystatine en cas de
candidose oropharyngée (COP) a été
réalisée et des recommandations
pratiques institutionnelles ont été
élaborées. Il est à noter que l’utilisation
de la nystatine dans d’autres indications
n’a pas été étudiée dans le cadre de
cet article.
2. Nystatine
La nystatine est un antimycosique de
structure polyénique découvert en
1951 2. Elle est obtenue à partir de
cultures de Streptomyces noursei et
elle est douée d’une activité fongicide
vis-à-vis de Candida albicans et
d’autres champignons pathogènes
responsables de mycoses 3,4. Son
efficacité vis-à-vis de Candida spp.,
d’Aspergillus spp., d’Histoplasma spp. et
de Coccidioides spp. a été démontrée
in vitro 5. La nystatine n’a par contre
aucune action contre les bactéries et
les dermatophytes. Elle possède une
activité concentration-dépendante avec
un effet post-antifongique prolongé 6.
Cela implique cliniquement que des
schémas d’administrations discontinues
peuvent être envisagés 6. Son
mécanisme d’action repose sur sa liaison
à l’ergostérol, un des composants de la
membrane cellulaire des champignons.
Cette liaison modifie la perméabilité
membranaire et in fine, permet la fuite
des composants intracellulaires 7.
La molécule a une biodisponibilité
quasi nulle et est éliminée dans les
fèces 8. N’étant pas absorbée au
niveau du tractus gastro-intestinal, son
utilisation est réservée à des infections
superficielles. La nystatine est une
molécule avec un profil de sécurité
rassurant. Peu d’effets indésirables
et d’interactions médicamenteuses
sont rapportés 4,9,10. La U.S. Food
and Drug Administration l’indique
dans le traitement des candidoses
vulvovaginales, cutanées, gastrointestinales
(non-oesophagiennes) et
oropharyngées 11. Malgré une utilisation
répandue, le développement de
résistance à la nystatine est rare 7,12.
3. Candidose oropharyngée
(COP)
La COP est une infection opportuniste
fréquente localisée au niveau de la
cavité buccale et causée par une
levure du genre Candida. Il existe
environ 150 espèces de Candida, mais
seul un petit nombre est pathogène
pour l’homme 13. L’espèce la plus
fréquemment incriminée dans la COP
est C. albicans 14. Dans une situation où
l’immunité est bien équilibrée, Candida
est une levure commensale de la cavité
buccale 15. Il est retrouvé chez 40 à
70% des enfants et adultes sains, avec
des taux plus élevés chez les enfants
présentant des caries et les personnes
âgées portant un dentier 16. La survenue
de la pathologie est le résultat d’un
déséquilibre entre la virulence du
pathogène et les défenses de l’hôte, dans
un environnement (pH, température, etc.)
ou une condition de l’hôte favorable au
pathogène (Tableau 1) 8,17-20. Une COP
chez un sujet adulte en bonne santé est
donc inhabituelle. Les COP se présentent
sous plusieurs formes cliniques : formes
blanches ou formes érythémateuses
(Tableau 2) 19.
En général, la COP est asymptomatique.
Parfois, elle est à l’origine d’inconforts
tels une sécheresse buccale, de la
douleur, une sensation de brûlure,
une altération du goût ou encore des
difficultés à s’alimenter 18. Le diagnostic
est essentiellement clinique 21. Il
consiste en l’évaluation des symptômes/
plaintes du patient, des signes cliniques
et des facteurs de risque. Le prélèvement
mycologique n’est pas systématique
puisque l’examen clinique est suffisant
dans un grand nombre de cas.
Néanmoins, lorsque l’on est face à une
situation atypique ou devant des lésions
persistantes ou récidivantes malgré un
traitement a priori adapté, le prélèvement
avec un écouvillon d’une zone blanchâtre
ou érythémateuse peut être utile.
Un examen direct du prélèvement
et une mise en culture permettent
l’identification de l’agent pathogène 18,22.
Certains auteurs soulignent l’importance
d’un diagnostic mycologique précis,
surtout chez les patients à risque
d’infection fongique invasive, étant
donné les différences de virulence
entre les différents Candida 23,24. Les
COP, même dans les cas où elles sont
asymptomatiques, doivent être traitées
afin d’éviter des complications, surtout
chez les patients neutropéniques ou
immunodéprimés. En effet, l’infection
peut s’étendre à l’oesophage, voire
devenir systémique 23.
L’identification des facteurs de risque
et, si possible, leur correction sont
très importantes dans la prise en
charge non pharmacologique de la
COP 19,24. L’hygiène bucco-dentaire
est fondamentale tant dans la
prévention que dans le traitement de
la COP 17,23–26. Concernant la prise
en charge pharmacologique, il existe
deux possibilités. Tout d’abord, les
Étude