bâtiments dépourvus de médecins 15.
Seul l’oxygène reçu par Haddock à
la fin de On a marché sur la Lune est
administré en présence de soignants
sapeurs-pompiers.
L’automédication est réduite à un couple
de personnages humains, les Dupondt, à
deux reprises. Souffrant d’une migraine
après une étape dans le désert, ils
prennent ce qu’ils pensent être un
comprimé d’aspirine, ce qui, loin de les
guérir, les amènera à une intoxication
à signes digestifs et cutanés. Plus tard,
passagers clandestins de la fusée
lunaire, ils s’administrent le « remède »
supposé les soulager d’une récurrence
de ces mêmes symptômes d’intoxication.
On peut aussi noter une curiosité dans
Tintin au Congo, un boa doué de parole
qui présente quelques troubles digestifs
après avoir avalé le chien Milou et
annonce : « Je devrais prendre un peu de
bicarbonate de soude » !
Le médicament, la plupart du temps
ignoré des professionnels, fait l’objet,
en revanche, de l’attention d’autres
personnages de Tintin. Ils deviennent
ainsi et de manière occasionnelle
des prescripteurs de médicaments
ou en conseillent l’usage. Tournesol
préconise l’emploi de magnésie à
un journaliste présumé souffrir de
gastralgies ou d’alcool camphré afin de
soulager les douleurs rhumatismales
supposées d’Haddock. Quelquefois ils
administrent le médicament : Tintin et
la quinine, Tournesol et ses traitements
expérimentaux, … Dans Tintin au Tibet,
une hôtesse de l’air disposant d’une
trousse de secours se propose d’enlever
un corps étranger présent dans l’oeil
d’Haddock.
Le bon usage du médicament, tel
qu’on le définit actuellement 16,17 est
très souvent malmené, mais ces nonconformités
doivent toutefois être
relativisées compte tenu de l’époque
où se situent ces faits. On relève ainsi
de l’« aspirine » prise sans eau, de la
quinine administrée sans diagnostic
précis ou même sans ouvrir le tube, à
un éléphant il est vrai, des médicaments
expérimentaux administrés par
projection « à la poignée » dans
l’alimentation collective et contre le gré
des sujets, une seringue abandonnée
sur la couverture de la couchette du
patient, un flacon de médicament
relevant des substances vénéneuses
laissé sur le chevet du patient, plusieurs
injections sans antisepsie préalable de
la peau. La seule prescription réalisée
par un médecin (celle du traitement B
par le Dr Müller dans l’Ile noire) est non
seulement établie à des fins criminelles
contre l’intérêt du patient, mais est de
plus faite oralement par téléphone !
Aucun laboratoire universitaire ou
industriel de recherche thérapeutique
n’apparait mais trois albums évoquent
la conception et l’expérimentation
de médicaments nouveaux. Dans Le
lotus bleu, le Pr Fan Se-Yeng, dont on
ignore la qualification exacte, même
si certains auteurs considèrent qu’il
s’agit d’un neuropharmacologue 3,
met au point en quelques jours un
médicament qui antagonise avec succès
les effets d’un toxique. Une démarche
similaire et encore plus rapide est
accomplie dans Au pays de l’or noir au
profit des détectives jumeaux par le
Professeur Tournesol, qui apparait
dans les Aventures de Tintin comme
inventeur en mécanique navale alors
dépourvu de titre universitaire mais
dont la profession exacte n’est jamais
mentionnée. Ce savant universel et
loufoque poursuivra ses travaux de
pharmacodynamie en concevant et
produisant dans Tintin et les Picaros le
traitement supposé guérir Haddock de
son addiction à l’alcool. Toutefois, Hergé
ne révèle pas vraiment les laboratoires
où s’élaborent ces thérapeutiques
médicamenteuses. Certes, on entrevoit
celui de Tournesol dans l’Affaire
éponyme, alors que le Professeur est
présenté comme physicien nucléaire,
spécialiste des armes de destruction
massive, puis dans les Bijoux alors qu’il
s’occupe d’électronique et de recherches
sur la télévision en couleur, mais, dans
ces deux occurrences, son laboratoire
semble dépourvu d’équipements de
chimie ou de pharmacologie.
La place des intoxications
médicamenteuses dans cette étude est
restreinte dans la mesure où nous nous
sommes cantonnés aux médicaments
par présentation. Si certaines sont
accidentelles comme celle de Tintin par
le chloroforme anesthésique et celle
Journal de Pharmacie de Belgique - 42 101ème année n° 1 - mars 2019
des Dupondt par le N14, la plupart sont
volontaires voire même criminelles
comme le poison-qui-rend-fou du Lotus
bleu et le sérum de vérité de Vol 714. À
noter que plusieurs études 10,11,18 avaient
relevé de nombreuses intoxications
avec des produits non médicamenteux
comme le gaz soporifique, le
chloroforme-réactif, le curare végétal,
l’opium ou différents spiritueux, …
Les interactions « en creux » sont
nombreuses. Nous avons évoqué
les problèmes de santé multiples de
Tintin 5,6 ou de ses compagnons 8,18
mais qui ne sont pas pris en charge,
la plupart du temps. De plus, des
interactions « en creux » peuvent
concerner plusieurs médicaments (par
exemple : antalgiques et antiseptiques
pour une plaie traumatique). Si on
note la présence de médicament lors
de certaines hospitalisations, ce n’est
pas systématique et le médicament
n’est alors pas représenté lors de son
administration. Les consultations ou
visites médicales n’aboutissent jamais
à la prescription ou à l’administration
de médicament. Lors des soins
d’urgences, pour une plaie par exemple,
on retrouve dans le dessin d’Hergé la
présence d’un pansement, mais il est
appliqué, à deux exceptions près, sans
antisepsie préalable par une solution
médicamenteuse, même quand la
plaie est susceptible d’être infectée :
morsure de perroquet, de félin, de
chien ou humaine. Lorsque la plaie est
souillée par de la terre, aucun rappel de
vaccination antitétanique n’est envisagé.
Les brûlures, assez fréquentes, même
profondes ou étendues, ne sont pas non
plus prises en charge par l’application
de topiques antiseptiques, tels que
la sulfadiazine argentique (qui n’est
disponible que depuis 1968) ou de
tulles imprégnées (Corticotulle®) 19.
Les gelures ne font pas l’objet
d’un traitement médicamenteux
alors que certains vasodilatateurs
étaient préconisés à la fin du siècle
dernier 20. Les traumatismes crâniens,
nombreux 6, ne font l’objet d’aucun
traitement médicamenteux, même
symptomatique (sédation, antalgie) :
il est toutefois à noter qu’ils ne
sont pas suivis de syndrome postcommotionnel
ou d’état de stress posttraumatique,
contrairement à ceux de la
Étude Farmaceutisch Tijdschrift voor BelgFiaërmaceutisch Tijdschrift voor België